Jean-Jacques Sadoux
La femme dans le Western
« On ajoute toujours une femme dans la ballade parce que, sans femme le Western ne marcherait pas »
Anthony Mann
« Même dans un chef d’œuvre comme OK Corral, la présence d’une femme – en l’occurrence Rhonda Fleming- arrête l’action, coupe le rythme. Dans le désert, le problème essentiel, c’est survivre. La femme est un obstacle à la survie ! Le plus souvent, non seulement elle bloque l’histoire, mais elle n’a ni épaisseur ni réalité. C’est un symbole. Sa vraie place est à l’arrière-plan.
Sergio Leone
La femme de Western, dont on a rien su dire, s’offre à l’œil ébloui dans le statut multiple de son ambiguïté.
Raymond Bellour, Le Western, 10/18, Union Générale d’Editions, 1966)
Lorsqu’on envisage dans sa totalité l’univers féminin du Western, on est frappé par la diversité qui s’y manifeste.
Jean-Louis Leutrat, Le Western, Armand Colin, 1973)
« Une femme c’est un drôle de handicap pour un homme ».
Richard Widmark dans The Law and Jack Wade (Le Trésor du Pendu) John Sturges
La femme dans le Western est en puissance le personnage dont la symbolique véhicule les thèmes les plus essentiels et les plus significatifs de la civilisation d’outre-Atlantique. A la vue de la femme westernienne, les spectateurs se voient rappeler les bases mêmes de l’idéologie biblico-jeffersonienne. Ils peuvent communier avec la nature et ressentir la symbiose parfaite du passé (la femme est gardienne des valeurs ancestrales), du présent (elle est amour et joie de vivre) et du futur (elle est source de toute procréation). Un film comme Convoi de femmes a très bien synthétisé toutes ces caractéristiques, confiant à la femme du Western l’éternité de l’Amérique.
Michel Cieutat, La femme dans le Western ou la star anonyme, Cinémaction # 86, 1998
Ce qui est important c’est ce que l’héroïne a provoqué ou bien ce qu’elle représente. C’est elle, ou mieux l’amour ou la peur qu’elle inspire au héros, ou encore le souci qu’elle a d’elle, et qui l’a fait agir d’une certaine manière. La femme elle-même n’a pas la moindre importance.
Bud Boetticher (metteur en scène de Weste
Cinéclub du Belvédère Saint Martin d’Uriage
Cycle Western
Mardi 11 Février 2014
Westward the Women (Convoi de Femmes) William Wellman 1951
Estimé aujourd’hui pour la sureté de sa maitrise technique autant que pour la sincérité de son inspiration, W.A. Wellman montra envers le western une sollicitude qui s’exprima toujours avec une grande probité : The Ox-bow incident (1943), Buffalo Bill (1944), La ville abandonnée (1948), Au-dela du Missouri et Convoi de femmes (1951) en témoignent assez. Chez lui, et par lui, le genre ne demeura pas figé dans la tradition, puisque, à partir de celle-ci, il s’efforça de le doter d’une portée nouvelle qui, au lendemain de la guerre, le fit considérer comme l’un des représentants les plus accomplis du « sur-western », c’est à dire d’un western plus évolué quant à l’étude des personnages, et à la mise en scène.
Jean-Louis Rieupeyrout, La Grande aventure du western, Cerf, 1964
Wellman n’a pas connu la gloire de certains grands du western : il n’est ni Ford, ni même Sturges. Mais alors que ces deux réalisateurs, pour ne citer qu’eux, n’ont pas signé que de grands films (il y a de mauvais Ford et de mauvais Sturges), les cinq westerns de Wellman sont tous intéressants : de l’œuvre psychologique. en passant par la peinture mysogine d’une civilisation balbutiante … ou la biographie sans aucun lyrisme de mauvais aloi, Wellman témoigne de sobriété, de mesure, s’effaçant toujours derrière le thème et les personnages… Il n’est pas l’homme du morceau de bravoure et c’est en cela que son œuvre « western » témoigne peut être beaucoup plus que tant d’autres de l’esprit même de l’Ouest, sans que cela lui ôte le gout d’un certain paysage aride et d’une dureté des êtres et des choses.
Guy Allombert, Le Western, Union Générale d’Editions, 1966
Drôle de Western féministe mais très classique, concentré du style de Wellman, le soin des cadrages (certains avec personnage en contre-plongée et profondeur de champ, pourraient être tirés d’un film soviétique), le gout des ellipses (l’attaque des Indiens est juste suggérée par la bande-son), l’intelligence de la mise en scène et un humanisme qui auréole chaque plan.
Anne Dessuart, Télérama, 10/11/2O12
Quel plaisir en revanche de revoir un film qu’on a adoré à 18 ans et de constater qu’il est encore meilleur que dans votre souvenir. C’est le cas de Westward the Women (Convoi de Femmes). Il s’agit d’un des chefs d’œuvre de Wellman et du western. Il prend le contre-pied d’une des audaces d’Ox-Bow Incident. A la quasi-absence de femmes, il substitue au contraire une pléthore de personnages féminins décrits avec le minimum de sentimentalisme, réduit de manière drastique le rôle des hommes, à l’exception de John McIntire, excellent, du savoureux personnage du cuisinier japonais et de Robert Taylor. Ce dernier est utilisé de manière très convaincante (ses plans de réaction quand il découvre les femmes sont cadrés avec une grande intelligence). On retrouve magnifiée, toutes les qualités de Wellman, – ton dépouillé, direction d’acteurs et d’actrices extrêmement sobre ( Denise Darcel, très sensuelle, est excellente tout comme la gigantesque Hope Emerson), travail impressionnant sur les paysages – toutes les figures stylistiques ou narratives qui portent sa marque : longs travellings qui suivent les deux cavaliers de dos, plongées spectaculaires. J’avais gardé depuis la première vision, un souvenir vivace des plus beaux plans et de certaines séquences : les survivantes lançant les noms des femmes qui ont péri, noms que l’écho reprend, la mort d’un enfant filmé de façon foudroyante. J’ai redécouvert des moments comme cet accouchement dans un chariot que les femmes soutiennent. Séquence ultra wellmanienne montrant que l’individu doit se fondre dans la collectivité. L’action est souvent traitée hors champ : une bagarre très importante est au trois quarts occultée derrière des chariots, des obstacles divers ; l’attaque des Indiens qu’on attend depuis le début se déroule hors champ. Robert Taylor et Denise Darcel l’entendent mais arrivent trop tard. Wellman privilégie, ici comme ailleurs, les conséquences d’une action : ces panoramiques qui recadrent les femmes qui ont été tuées. Et, cerise sur le gâteau, ce western bénéficie d’une absence quasi-totale de musique, décision évidente de metteur en scène.
Bertrand Tavernier, DVDBlog, 14/10/2009
C’est aussi l’un des mérites de Convoi de femmes d’accorder étroitement les personnages et le décor naturel. . . Les contrastes du noir et blanc jouent ici au mieux des données austères d’un sujet dénué de séduction … Chez Wellman le groupe porte en lui-même son destin. Les incidents ne sont pas sollicités pour eux-mêmes mais bien pour l’incidence qu’ils ont sur la collectivité, objet de l’étude ; le drame nait ici du jeu des forces internes : d’un côté Butch et les hommes, de l’autre les femmes.
Jean-Louis Rieupeyrout, , Wellman, ou la probité du western , Positif # 8, juin 1953
Un des rares films à présenter une communauté de femmes d’une manière positive. C’est presque un catalogue des clichés traditionnels sur les femmes dénoncés par la représentation cinématographique …quand on crée une version féminine d’un genre masculin ce qu’on associe au monde de la femme (essentiellement les questions de l’amour, des idylles amoureuses, du mariage, du sexe, du viol et de l’accouchement) doit être , d’une manière ou d’une autre, réconcilié avec le film masculin.
Jeanine Basinger, historienne du cinéma américain