Jean-Jacques Sadoux
A propos de Laurel & Hardy
La contradiction interne et le mythe de l’indien
En étudiant leurs rapports avec l’aide du mythe, nous verrons comment Stan représente le « sauvage », la force de la nature présente en chacun d’entre nous et qui, après des années et des années de culture et d’éducation forcée, ne transparait que rarement. Pour cette raison nous comprenons parfaitement Ollie quand il préfère toujours la compagnie du sauvage à celle de sa femme. Tout cela coïncide parfaitement dans les schémas les plus typiques du monde et du roman américain. Dans The return of the vanishing American (Le retour de la peau rouge, 1968) Leslie A. Fiedler explique avec passion les principaux mythes américains qui seront à la base de quasiment toute la production littéraire (et cinématographique) depuis le 18éme siècle. Il divise la littérature du Nouveau Monde en quatre catégories : celle du Nord ou de l’homme solitaire contre la nature, celle de l’Est ou des rapports entre l’Amérique et l’Europe, celle du Sud ou les drames de la vieille demeure en ruines, et celle de l’Ouest ou de l’aventure de la rencontre avec les indiens. Nous devrions dire tout de suite que les films de Laurel & Hardy se rattachent aux mythes du Sud et de l’Est pour l’origine de leurs personnages, mais sont toujours dirigés vers l’Ouest.
[ …] Et l’Ouest sauvage, où comme par hasard se trouve Hollywood, se caractérise par quatre mythes fondamentaux selon Fiedler Rappelons les : 1) l’amour dans la forêt qui parle des rapports d’un blanc et d’une indienne, 2) la femme blanche au tomahawk qui fait référence à une certaine Hannah Duston qui parvint à échapper à la captivité dans un village indien après avoir tué ses ravisseurs, 3) les bons compagnons en terre sauvage avec le chasseur blanc Natty Bumppo et l’indien Chingachgook dans les récits de Fenimore Cooper, et enfin 4) le male fugitif , représenté par le personnage de Rip Van Winkle de Washington Irving, l’homme qui dort pendant vingt ans et à son réveil découvre sa femme morte. Dans les films de Laurel & Hardy il n’est pas difficile de retrouver ces quatre mythes plus ou moins mêlés et combinés avec les thématiques de l’Est et du Sud comme on l’a vu avant. La justesse de la thèse de Fiedler se vérifie plusieurs fois. La femme armée d’une hache, la blanche forte et autoritaire nous la découvrons dans chaque épouse insupportable que ce soit celle de Stan ou d’Ollie … Nous pouvons également parler du mythe du Sud au sujet des histoires gothiques dans des maisons mystérieuses … ou de situations typiquement sudistes … comme du mythe de l’Est avec les fréquents retours des deux héros vers la vieille Europe… Les deux mythes qui nous sont les plus chers sont cependant les deux derniers (3 et 4) … Qui sera en fait le nouveau Rip Van Winkle si ce n’est notre cher Ollie, le Wasp blanc fugueur et à la recherche d’aventures ? Et les deux amis en terre sauvage seront vraiment Laurel et Hardy, avec Stan jouant le rôle de l’indien Chingachgook …
De toute façon leur fuite répétée et désespérée du monde des épouses, leur besoin de se créer une nouvelle vie basée sur le rapport d’amitié, avec même quelques implications sexuelles, appartient totalement au type de mythologie que nous avons observée. Si Stan
représente l’américain qui disparait dans une société marquée par la brutalité comme celle de leurs films, et Ollie le blanc à la recherche d’espaces vierges, ils seront en couple encore plus contradictoires et sauvages dans leur dialectique continue de caractères et de personnages. Ils donneront vie à un nouveau type de citadins américains, vieux et neufs en même temps, héritages de tous et pourtant constamment en conflit avec la société qui refuse un tel degré de liberté et de sincérité. Pour toutes ces raisons nous ne pouvons pas ne pas voir chez Stan et Ollie deux personnages à la fois forts et mythiques qui, en dépit de tous et de toutes, avec leurs racines dans des cultures anciennes et modernes, affirment ces valeurs d’amitié, de liberté, d’aventure et d’amour que beaucoup d’entre nous, indiens de coeur, souhaiterions toujours victorieuses .
Marco Giusti, Laurel & Hardy, Il castoro cinema, La Nuova Italia, Firenze, settembre 1978