Le Reptile – 1970 – 2h de Joseph Mankiewicz
Avec Kirk Douglas, Henri Fonda, Robert Benton..
Un faux western qui n’est en réalité pour Mankiewicz qu’une occasion de mystifier sans cesse le spectateur par un renversement constant des valeurs.
Un film jubilatoire, même si l’insolence du récit donne une image peu flatteuse du genre humain!
- Présenté par Claude Franza
Le Reptile (titre original en anglais : There Was a Crooked Man…) est un western américain de Joseph L. Mankiewicz sorti en 1970.Paris Pitman Jr. vole 500 000 dollars à un riche propriétaire et les cache dans une fosse de serpents à sonnettes. Il est arrêté et emprisonné dans une forteresse en plein désert de l’Arizona. Là, il se lie d’amitié avec d’autres détenus et en devient le meneur. Le directeur de la prison essaye de s’en faire un allié pour améliorer le sort des prisonniers, mais Pitman a d’autres idées en tête… |
Kirk Douglas : Paris Pitman Jr.; Henry Fonda : Woodward Loperman Hume Cronyn : Dudley Whinner; Burgess Meredith : ‘Missouri Kid’ |
« tout ça, c’est une duperie depuis A jusqu’à Z »
Une grande partie de la filmographie de Mankiewicz tourne autour du thème de la manipulation et de la domination. Avoir le dessus, transformer les autres en esclaves, les manipuler à sa guise, voilà le but de la vie des personnages du cinéaste. Voir Cleopatre obliger César à s’agenouiller devant elle. Voir Eve vampiriser Margo Channing pour prendre sa place. Le conflit entre Brutus et Marc Antoine pour la succession de César. Katharine Hepburn voulant imposer sa volonté au médecin Montmgomery Clift au sujet de la patiente Elizabeth Taylor. Et le reste : bon nombre de films du cinéaste britannique sont des variantes autour de la domination d’un personnage par un autre, ou de la prise de pouvoir de quelqu’un. Le Reptile s’inscrit en plein dans cette thématique. La manipulation d’abord : tout le monde ment. Aux côtés de Pitman, parmi les autres prisonniers, on trouve un duo d’arnaqueurs dont l’un se faisait passer pour un sourd-muet pour soutirer de l’argent à d’éventuels généreux donateurs. Et ainsi, même les personnages que l’on croirait sérieux se révèlent, à un moment ou à un autre, |
avoir menti d’une façon ou d’une autre Manipuler pour pouvoir s’évader. Manipuler pour prendre possession du trésor caché. Ce sont les deux motifs principaux. Mais, en filigrane, il y a une question de pouvoir. Comme souvent chez Mankiewicz, Le Reptile est un film politique qui se cache derrière des apparences divertissantes (là aussi, la manipulation n’est pas loin, et le cinéaste était un grand illusionniste).Le pouvoir donc. Prendre le pouvoir, dominer les autres. Après le départ d’un directeur de la prison, Lopeman (Henry Fonda) est nommé à ce poste. Et il arrive avec ses idées progressistes, du genre « redonner le goût du travail honnête » ou « développer la confiance en soi et la fierté personnelle », et patati et patata. Mais surtout commence alors le grand moment du film, un face-à- face entre Pitman et Lopeman pour savoir qui dirige la prison. Les acteurs sont excellents et les personnages sont bien foutus. La réalisation est discrète mais solide, le rythme est maîtrisé : c’est un très bon film. Et surtout, il y a la marque Mankiewivz, un cynisme jouissif, des dialogues réjouissants, un excellent final. L’avant-dernier film du cinéaste (avant Le Limier) est un régal un peu oublié de nos jours, à re-découvrir. |
Sur la trame classique d’une tentative d’évasion dans un pénitencier, avec constitution d’une équipe, magot planqué et rivalité avec l’institution, Le Reptile commence à se distinguer par son appartenance à une nouvelle ère, celle des 70’s. Plus explicite, plus sordide, le film ne s’embarrasse plus d’un langage polissé ; les hommes rustres, les femmes chaudes et armées et même un couple gay dressent le portait satirique d’une société sans fard. L’atmosphère assez proche d’un Peckinpah pour son cynisme ou d’un Leone pour son humour étonne vraiment pour un film de Mankiewicz, surtout lorsqu’on considère certaines scènes de comédie un peu bouffonne, de baston générale à coup de poulet ou de bains forcés plus proches de Bud Spencer que d’Ava Gardner.
Le film est l’occasion d’un beau duel au sommet entre Fonda et Douglas, le patriarche héritier potentiel du western classique face au héros non moins conventionnel du grand film hollywoodien, ici retournés comme des gants. Si Fonda reste longtemps fidèle au modèle, la raclure que compose son comparse est proprement jubilatoire, dénuée de toute morale et obnubilé par son propre intérêt.
Car le véritable intérêt du film est bien là : tisser des fils narratifs grossiers pour mieux les déchiqueter. D’un côté, l’ambition humaniste de Fonda, directeur de prison soucieux de réinsérer ses détenus en humanisant leur structure. De l’autre, la solidarité du groupe des candidats à l’évasion, chacun ayant sa spécialité et l’union faisant la force. Le dilemme de Douglas, à leur tête, est qu’il devient simultanément le leader du projet du directeur, qui voit s’épanouir sa petite communauté utopique.
La malice acerbe du récit consiste à laisser germer ces ressorts et conduire le spectateur vers une convenance morale que le dernier tiers du film (un brin long et mou dans sa première partie) va totalement dévaster. Envolées, les bonnes résolutions, l’amitié et les ébauches d’une civilité nouvelle : on flingue, on trahit, on renie des principes qui semblaient solides comme le roc, et l’on s’enfonce avec jubilation dans la fosse aux serpents.
C’est donc sur le modèle d’un film d’action plutôt décomplexé que Mankiewicz choisit, pour son avant dernier film, de distiller un fiel qui n’a jamais quitté sa filmographie : avant le duel étouffant du Limier, c’est assez déconcertant pour séduire, même si l’on est assez loin du panache de son œuvre passée
SENS CRITIQUE par Sergent Pepper le 13 octobre 2014