LE ROMAN D’UN TRICHEUR
« Ce qui ne me passionne pas m’ennuie. »
Sacha Guitry
Sacha Guitry (1885-1957), ou comment ne pas plaire à tout le monde.
« J’ai la prétention de ne pas plaire à tout le monde. »
« Plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui. »
Comédien passionné, auteur fécond, metteur en scène, réalisateur et scénariste à succès, autodidacte surdoué, Sacha Guitry ne pouvait laisser indifférent. Né dans une famille de comédiens, il baigne dès l’enfance dans l’amour du théâtre.
« 125 pièces, 36 films, 5 mariages, 60 jours de prison « , comme il le rappelait lui-même.
Cancre invétéré, en 6e à dix-sept ans, il renonce alors à ses études et se consacre au théâtre. Comédien brillant, il écrit des vaudevilles, dans l’esprit de Georges Feydeau (1862-1921), parfois en quelques jours, les met en scène, et les joue.
Son sens de la formule et de la répartie, ses bons mots, son amour de la langue, son humour, son style, assurent un succès croissant à l’auteur comme au comédien. Et lui attirent quelques jalousies. Les critiques ne le ménagent pas, et réciproquement !
« Misogyne », « vaniteux », « mégalomane », les qualificatifs ne lui sont pas épargnés, par les critiques bien sûr, malgré ses énormes succès populaires ; mais aussi aussi par certains spectateurs d’hier et d’aujourd’hui.
Les femmes.
Le féminisme est passé par là, et il est vrai qu’en première approche, ses répliques à l’emporte-pièce peuvent être mal interprétées de nos jours :
« Je suis contre les femmes, tout contre… »
« Les femmes, pour la plus grande part, sont plus avides de rencontrer un tiers plutôt qu’une moitié. »
« J’aime trop les femmes des autres pour me marier. »
« La meilleure façon de se venger d’un homme qui vous a pris votre femme, c’est de la lui laisser. »
Mais ses épouses (il en eut cinq qui l’ont souvent quitté) disaient de lui qu’il était un amoureux des femmes. Les citations ne sont que des mots d’esprit, qu’il adorait, et qu’il savait plaire au public.
Le style Guitry
On ne peut qu’admirer la qualité de l’écriture, la maîtrise de la langue, le sens de la formule, la diction de Sacha Guitry, servis par une élocution fluide et précise, quelque peu emphatique. Ce style, dans de longs monologues, qui est aussi celui d’une époque (pensons à Louis Jouvet), l’a fait accuser de mégalomanie et de prétention.
« J’allais pas épouser Sacha Guitry, il s’était épousé lui-même ! » (Arletty, qui non plus n’était pas avare de bons mots).
Ce jugement est démenti par les gens qui l’ont connu, qui ont loué sa modestie, sa gentillesse, sa fidélité en amitié, sa générosité.
L’occupation
» La Libération ? Je peux dire que j’en ai été le premier prévenu. »
Pendant la deuxième guerre mondiale, Sacha Guitry continua à exercer son métier, ce qui était sa façon de défendre la culture française face à l’occupant. Et ses œuvres étaient très prisées des allemands qui profitaient de la vie parisienne. En 1944, il fut assez maladroit pour nommer « De Jeanne d’Arc à Pétain » un film (tiré de son livre) mettant à l’honneur les grands personnage français. Tout ceci servit de prétexte à ses vieux ennemis, et aux résistants de la dernière heure, pour l’emprisonner arbitrairement et l’accuser d’ « intelligence avec l’ennemi ». Il ajouta d’ailleurs plus tard n’en avoir pas manqué…
Après deux mois de détention, il fallut bien admettre qu’il n’y avait rien à lui reprocher. Il fut libéré en octobre 1945, et un non-lieu fut rendu en 1947. Il aurait préféré un procès, qui lui aurait évité la suspicion et les doutes qui s’ensuivirent. Cette mésaventure l’affecta beaucoup, et son œuvre ultérieure laisse entrevoir son amertume.
Le Roman d’un Tricheur, le film.
« Au théâtre vient le public au cinéma entre la foule. »
Tiré du seul roman écrit par Guitry, il fut réalisé en 1936. Considéré par beaucoup comme son chef-d’œuvre, c’est un film atypique dans sa production.
Sacha Guitry fut longtemps très réservé quant au cinéma, ce qui ne l’empêcha pas de réaliser de nombreux films, qui connurent un grand succès pour beaucoup. Il faut rappeler que, d’Orson Welles à Denis Podalydès, Guitry suscite l’admiration de nombreux acteurs et cinéastes.
Il adapta au cinéma nombre de ses pièces de théâtre, dans lesquelles il utilise (et caricature parfois) les nouvelles possibilités offertes par la caméra (angles de prises de vue, lumière, rotation à 360°, etc.). Ceci n’a pas empêché les reproches de « théâtre filmé ».
« Le Roman d’un Tricheur » est d’abord une comédie. Le procédé narratif est tout à fait original, en tous cas pour l’époque : un homme écrit ses mémoires, et nous fait revivre en les commentant les moments forts de son existence. Les dialogues sont rares, le texte est plus conté que raconté par l’auteur, qui innove ici avec la voix off, et parle à la place des personnages.
La critique fut plutôt réservée : « un peu long et paradoxal », « conçu et composé comme un film muet, avec des trouvailles techniques très jolies et fort bien mises en place », « Le roman d’un tricheur, qui s’avère nul, par la suite, est long à se déclencher ». Ce n’est que plus tard que le film de Guitry est pleinement reconnu, considéré comme un chef-d’œuvre par Orson Welles et François Truffaut, et salué par les cinéastes de la Nouvelle Vague.
On remarquera dans « Le Roman d’un Tricheur » le souci du détail, le sens de l’absurde, l’ingéniosité, le générique (Guitry considérait le générique comme partie intégrante du film), le politiquement incorrect (l’argent et les femmes), le détournement des codes.