Textes recueillis par Jean Jacques Sadoux – Janvier 2013
« Les filières sanglantes par où l’on fait passer la logique aux abois. »
Lautréamont, Poésies 1
Pour un metteur en scène hollywoodien des années trente, raconter une histoire, c’était adopter un point de vue apparemment objectif, se soumettre à une logique de cause à effet et amener le spectateur à s’identifier en toute lucidité au personnage central. Le film noir fait vaciller la certitude du public quant aux valeurs de l’Amérique ; de même dans son mode de narration, il s’oppose encore aux conventions…
Michel Ciment Le crime à l’écran, Découvertes Gallimard, 1992
C’est la présence du crime qui donne au film noir sa marque la plus constante. « Dynamisme de la mort violente », disait Nino Frank, et l’expression parait excellente. Le chantage, la délation, le vol ou le trafic des drogues tissent la trame d’une aventure dont la mort est l’enjeu. Peu de séries dans l’histoire du cinéma ont accumulé en sept ou huit ans autant de brutalités crapuleuses et d’assassinats. Sordide ou insolite, la mort émerge toujours au terme d’un voyage sinueux. A tous les sens du mot, le film noir est un film de mort.
Raymond Borde et Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain, Les Editions de Minuit, 1955
Le film noir est plus qu’un genre cinématographique. C’est un aspect essentiel de la culture américaine. En compagnie du cowboy de l’Ouest sauvage celui qui hante la ville du film noir se situe au cœur même de notre iconographie mythologique.
Nicholas Christopher, Somewhere in the night, The Free Press, New York, 1997
Prenant à contrepied l’optimisme douçâtre d’ Hollywood, ces films noirs présentaient un monde de peur, de paranoïa et de corruption sans limite. Les héros étaient des opportunistes ou des victimes – ou les deux à la fois- des êtres sans attache, des détectives minables, des porte- flingues. Les héroïnes étaient aguichantes, faciles et mortelles. Les flics étaient pourris, les institutions malfaisantes, et les meilleurs amis prêts à vous tirer dans le dos. Le décor était sordide : une Amérique pas encore contaminée par le technicolor, une jungle urbaine composée d’hôtels minables aux néons blafards, de restaurants crasseux d’autoroute, d’impasses sombres, de salles de jeux et de commissariats de police.
Thomson Usukawa Hard Boiled, Chronicle Books, San Francisco, 1995
Le film noir est l’une des solutions imaginées pour camoufler un discours politique. Des cinéastes vont peu à peu transformer les films traditionnels de gangsters pour faire une critique de la société. La mainmise des chefs de gangs sur les villes américaines sert de métaphore aux abus du gouvernement. Le film noir devient le genre majeur de la fin des années quarante …
Les films noirs se distinguent des films de gangsters par une critique sociale sous-jacente qui désigne la société comme responsable des conduites criminelles. Celles-ci ne sont plus le fait d’un individu simplement égoïste et asocial, elles sont inéluctables dans une société urbaine qui fabrique des psychotiques.
Brigitte Gauthier, Histoire du Cinéma Américain, Hachette, 1995
Le film noir révéla les bas-fonds de la grande ville américaine. Ses habitants étaient le détective privé, le flic brutal, les criminels en col blanc, les femmes fatales. Comme le dit Raymond Chandler : « les rues étaient sombres d’autre chose que la nuit. »
Martin Scorcese Voyage à travers le cinéma américain Cahiers du Cinéma, 1997
…Un trouble vénéneux que le public populaire n’avait plus connu de façon si intense, depuis les productions allemandes sous la république de Weimar. Cette parenté avec le style de la UFA est primordiale.
Noêl Simsolo, Le Film Noir, vrais et faux cauchemars, Cahiers du Cinéma, 2005
L’ensemble de films que l’on peut regrouper sous l’étiquette de film noir possède une très forte unité narrative et esthétique, qui explique son influence sur des genres connexes… le film noir, fabriqué de l’intérieur par des « immigrés » à Hollywood, pourra être associé à une forme de résistance sociale, politique et aussi grammaticale envers la modernité industrielle.
Jean-Pierre Esquenazi, Le Film Noir, Histoire et significations d’un genre populaire subversif, CNRS Editions, 2012
« I did something wrong. Once” ( j’ai fait quelque chose de mal. Il y a longtemps)
Hemingway, The killers